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Chapitre V

Les Ruffo au XIe siècle

 

S'il n'y eut pas en Calabre comme dans le reste de l'Italie de terribles luttes entre seigneurs féodaux, les occasions de se battre ne manquent cependant pas. Il y eut toujours la lutte contre le brigandage très développé dans les zones montagneuses.

 

Lorsque Giovanni Fulconio et ses fils entreprennent d'expulser de Calabre les musulmans qui s'y étaient installés au détriment de Byzance, il ne faut pas imaginer que la culture arabe avait envahi tout le pays. Bien au contraire, la Calabre avait été grecque puis byzantine pendant des siècles, aussi était-elle réellement fort imprégnée de cette culture chrétienne.

 

Monastère de Santa Maria del Patirion,
près de Rossano >

 

Des moines venus d'Orient au VIe siècle avaient créé une véritable thébaïde près de Rossano, sorte de Mont Athos calabrais. On cite particulièrement Cassiodore le Calabrais (462-552) qui fit copier une quantité d'œuvres latines et grecques. Parmi ces centres monastiques citons l'Eparchia du Mercurion dont les moines seront les premiers traducteurs de Platon et d'Homère. Parmi eux, certains enseignent philosophie et théologie, jusqu'à Byzance. En 995, St Nilo, moine du Mercurion, fonde aux portes de Rome le monastère de Grotta-Ferrata, centre de culture byzantine, peut-être à l'appel de l'impératrice Théophano, princesse byzantine épouse d'Othon II empereur d'Allemagne. Il est probable que notre Giovanni Fulconio les ait connus.

 

Bref, on peut constater qu'arrivant d'une métropole aussi raffinée et civilisée qu'était Byzance, les Ruffo peuvent s'appuyer sur ces monastères, bastions de la civilisation, tout en les protégeant et en leur apportant la paix si nécessaire à leur rayonnement, leur confiant probablement aussi l'éducation de leurs fils. En fait, la Calabre n'est nullement un pays perdu du bout du monde comme on pourrait avoir tendance à le croire.

 

< Colonne du temple grec de Hera Lacinia, à Capo Colonna

 

Les Ruffo de l'an mille seront fidèles à leurs origines subtiles à l'orientale, qui contribueront à en faire les partenaires avisés de leurs futurs suzerains sous la dynastie normande. Nous pouvons avoir la certitude qu'ils étaient cultivés et raffinés comme pouvaient l'être les Grecs de la Mère patrie.

 

A ce jour, l'arbre généalogique des Ruffo pourrait remonter jusqu'à Enrico I (1055). Cependant la filiation suivie ne peut-être prouvée que plus tard à partir de Pietro I et de son frère Giovanni nés à Tropea, et dont le père fut Giordano, né au XIIe siècle. Dans la vie de St Louis, le Goff précise combien il est difficile d'établir une généalogie au XIIe siècle étant donné que les registres paroissiaux n'existaient pas encore.

 

Tout en nous servant des précieuses indications données par la généalogie Litta, fait au début du XXe siècle par Livio di Serra, Prince de Gerace, immense travail déposé aux Archives d'Etat de Naples, ainsi que celui de Ferrante della Marra, premier Duc de Guardia Lombarda, cousin des Ruffo, ce qui permet de rectifier, erreurs ou oublis, répétés par plusieurs auteurs pendant les trois derniers siècles.

Un exemple: Litta décrit la vie de Pietro I Ruffo de manière fort passionnante. Mais en la replaçant dans le contexte historique, nous calculons qu'il aurait eu plus de 100 ans à sa mort! Pontieri résout le problème: Pietro I eut un petit-neveu portant le même prénom: Pietro II, fils de Giovanni.

Tour de garde à Briatico >

 

Raison 5 de l’origine Byzantine des Ruffo :

Un indice intéressant au sujet de l'origine de la Famille serait l'usage des prénoms. Les plus anciens d'entre eux sont gréco-latins (cités par Ritonius, Montgrand etc). Les successeurs de Giovanni Fulconio se nomment Jean, Antoine, Pierre. Nous relevons à leur suite: Constantin, Léon, Fabritius, Alexis, Théodore, Philippe. En 1055 apparaît un Henri, prénom d'origine germanique. Plus tard, nous verrons Guillaume, Roger, ceux-ci typiquement normands. Conrad est germanique, Charles et Louis sont des prénoms français qui datent de la période angevine. Les premiers prénoms des Ruffo ne sont ni lombards, ni normands, encore moins français. De plus, seuls deux prénoms ont résisté à l'usure du temps, devenant de véritables prénoms de famille, Fulco et Antonio. Selon ce critère, l'origine de la Famille se situerait bien dans l'Empire Romain d'Orient (voir plus haut). Par ailleurs, un document conservé à la Bibliothèque Angelica de Rome affirme l'existence d'un Ademarius Rufus, en 1049. (Manuscrit 276 Fol. 310).
 

Cités et places fortes Calabraises

 

C'est le moment de relever d'intéressants détails sur les cités et places fortes calabraises (Brandon Albini dans « La Calabre pittoresque » et « En Sicile et Calabre » de Destrée).

 

Catanzaro

 

Son histoire est longue et, malheureusement comme dans les autres villes calabraises, les monuments anciens, victimes des tremblements de terre, ne sont plus guère là pour en témoigner.

 

Fondée au IXe siècle par les Byzantins puis prise par les musulmans, elle ne se constitue pourtant que vers le Xe siècle et devient le chef-lieu d'un important centre féodal. Placée au croisement des routes qui contrôlent les deux mers, à cheval sur les deux versants, c'est un endroit tout à fait stratégique pour qui veut dominer toute la région. Un château-fort y fut construit et sera détruit lors des agrandissements de la ville au XIXe siècle. Juchée sur une falaise, entourée de précipices, accessible seulement à l'aide d'un isthme étroit, c'était à la lettre une place imprenable. Les Byzantins conquirent la Calabre à partir d’ici ! L’endroit est stratégique.

 

Depuis l'an mille, grâce à des marchands orientaux, la culture du ver à soie et le tissage y avaient été implantés. Ses damas étaient célèbres et se vendaient à la foire annuelle de Reggio. Ce commerce de la soie faisait sa richesse. Il est très intéressant de souligner ici que dès leur installation à Catanzaro, les byzantins (Les Ruffo) en favorisent l'essor économique par l'élevage des vers à soie et le tissage des soieries, source de richesse pour la ville et pour eux mêmes. Industrie qui s'étendit à la province voisine de Cosenza. On appelait Catanzaro « la ville des trois V » : le velours, le vent et St Vitaliano, son saint protecteur. En effet, le vent y souffle de tous côtés avec furie. La contrée est délicieusement verte et fleurie, et comme le dit Lenormant qui y voyagea, il n'est pas d'autre ville qui offre de toutes parts, de plus magnifiques points de vue que Catanzaro.

 

Site de Catanzaro >


Les recherches de Pericle Maone et Pasquale Ventura permettent de présenter la chronologie suivante au sujet des seigneurs de Catanzaro. Robert Guiscard investit de ce fief conquis sur les Byzantins en 1059 un chevalier normand; Hughes de Falluca. Catanzaro passe aux Loritello en 1088. Ceux-ci sont des parents des Hauteville, futurs rois normands.

 

Métier à tisser archaïque >

 

Sous le règne de Guillaume I en 1156, Clémence de Catanzaro et son époux Robert de Loritello sont les instigateurs d'un complot contre le ministre du roi, Maion de Bari. Une terrible répression s'ensuivit. Puis après Riccardo de Falluca, il y a Ugo Lupino. Et enfin à partir de 1252 Pietro I Ruffo devient Comte de Catanzaro, ce lieu conquis par ses ancêtres vers 970.

 

 

 

 

 

 

Châtaigniers séculaires en Calabre

 


Cosenza

 

 

Château de Cosenza, époque de Frédéric II (+/- 1235)
 

Se trouve dans la vallée du fleuve Crati. Un château-fort, imposant mais abandonné, domine la ville. Il fut construit par Frédéric II sur les ruines du château détruit lors du tremblement de terre de 1184.

 

Une merveille se trouve à l'archevêché : une croix d'or aux émaux byzantins montée sur un support du XVe siècle. Elle fut offerte par l'Empereur Frédéric II, qui l'avait probablement rapportée d'Orient. En 1434, Louis III d'Anjou, Roi de Naples, beau-frère de Cobella III Ruffo, meurt prématurément dans ce même château en présence de celle-ci.

 

La province de Cosenza est le centre de fabrication de ces beaux tissages brodés, où l'on retrouve des dessins stylisés somptueusement colorés, légués par l'Orient, que les femmes tissaient à domicile.

 

Cette industrie du tissage artisanal a débuté vers l'an mille dans la cité de Catanzaro et de Cosenza, et est donc liée à l'arrivée des Ruffo byzantins en Calabre.

Giordano Ruffo II est Seigneur de la Vallée de Crati vers 1250. Il serait né à Cosenza.

 

 

< Château de Cosenza, détail du hall d'entrée

 


Squillace


L'impressionnant château de Squillace

 

Autre ancienne place forte calabraise qui aurait appartenu aux Ruffo. Outre les imposantes ruines du château, on peut y admirer une basilique du IVe siècle et son charmant bas-relief byzantin.

 

Cette place était Byzantine jusqu’en 904 lorsque les musulmans la conquirent. Avant l’An Mille les Byzantins reconquirent cette place forte importante dont ils firent un rempart pour la défense du golfe contre les incursions des Sarazins. En 1044 environ la forteresse fut prise par les Normands.

 

 

Santa Severina

 


 Santa Severina, sur son sommet rocheux

 

Robert Guiscard conquit la région sur les Byzantins en 1043. Le formidable château de Santa Severina remontant à l'époque normande s'aperçoit de loin au milieu d'un cirque de montagnes. Quatre tours rondes en pierres reliées par un corps de bâtiment, le tout protégé par de vertigineuses et puissantes murailles, de même que de profonds fossés. Il fut remanié par les Caraffa. La cathédrale est de type normand, probablement contemporaine du château.

 

Le splendide baptistère est byzantin (VIIIe s.); la petite église Sainte Philomène du XIe siècle est superposée à une autre chapelle.

Toute la ville est perchée à plus de cinq cents mètres de haut, dans un décor absolument surprenant.

 

Le fief de Santa Severina a appartenu à Pietro II Ruffo au XIIIe siècle et au XVe siècle à Niccolo Ruffo marquis de Cotrone. La forteresse munie de remparts de tous côtés paraît imprenable, et protège, le château aujourd'hui transformé en un intéressant musée.

 

 

 

Photo : Diego Ruffo de Bonneval (c) Août 1999

Santa Severina, un des plus beaux lieux de la Calabre
 
 


Stilo

 Eglise byzantine de Stilo, Xe siècle

 

Petite ville en étage sur le flanc du Monte Consolino. Sur la crête, les ruines d'un château byzantin et quelques tours d'où on pouvait guetter tous les mouvements dans la contrée. A Stilo, on peut admirer une extraordinaire petite église byzantine du Xe siècle. Quarante personnes pouvaient s'y tenir tout au plus. Ce splendide édifice rectangulaire est surmonté de cinq petites coupoles, si caractéristiques de l'architecture byzantine.

 

C’est ici que les Arabes défirent l’armée d’Othon II : en 982. Par la suite les Byzantins eurent à conquérir au plus tôt ce point stratégique qui domine à 2000m d’altitude toute la région aussi bien terrienne que maritime. Les restes d’un château Byzantin rappelle leur souvenir.

Château Roseto Capo Spulico
Gerace, la Florence de la Calabre

 

 

 Le bourg est bâti sur un éperon rocheux, plateau étroit et inexpugnable, et est entouré de murailles byzantines. Il faut traverser trois portes pour arriver aux maisons. La cathédrale de l'Assomption (1045) a des absides épaisses comme des donjons. L'intérieur en arcades en plein cintre est nu et grandiose.

 

< Plateau où s'élevait le château de Gerace

 

Les splendides colonnes ont été empruntées aux ruines de la cité grecque de Locri, sur la côte toute proche...

 

 

 

 

Sarcophage de Niccolo Ruffo >

 

C'est dans la très belle église de San Francesco (XIIIe siècle) que se trouve le magnifique tombeau de « Niccolo Ruffo » (mort en 1372), fils de Fulco II Ruffo de Bovalino (de la branche des Ruffo de Sinopoli).

 
 
Cathédrale de Gerace

 

    
Cotrone ou Crotone

 
 

Le château de Crotone ainsi que celui de « Le Castella » ont appartenu très tôt aux Ruffo, en fait, dès l'époque de Pietro I, vers 1240...

 

Toute l'ancienne province de Crotone fut appelée "il Marchesato" ou "le Marquisat", dès 1390, propriété des Ruffo de Catanzaro, Marquis de Cotrone

 


Crotone
Représentation antique de la ville et du château – Pietro I Ruffo
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Le Castella
construit au 16e siècle à l’emplacement
du château de Pietro
Ruffo II

Scilla

 

Ce château appartenait à la branche Ruffo di Calabria il y a encore peu d’années. Il fut en partie détruit par le tremblement de terre de 1783.

 

Pour Scilla, voir le chapitre "Le dernier Baron féodal" dont voici un extrait. Le chargé d'affaires de France à Naples, le Vicomte de Lapasse, relate en 1831 les aventures et la fin tragique de Fulco Antonio, Prince de Scilla, Comte de Sinopoli (1702-1783). (Archives Ruffo de Bonneval)

 

En 1783, le Comte de Sinopoli depuis longtemps octogénaire, mais exempt des infirmités de l'âme, vivait encore au milieu de ses vassaux, qu'il gouvernait en père, quelques fois un peu rigoureux mais toujours juste.

Il fut un matin réveillé par de grands cris : toute la population de la petite ville se pressait autour du château. Une première secousse annonçait un terrible tremblement de terre; déjà quelques maisons s'étaient écroulées. Le Comte à demi-nu n'a que le temps de descendre sur la grand-place; une seconde secousse renverse, dans un horrible craquement, l'église et une aile du château.


La petite ville de Scilla qui une demi-heure auparavant montrait aux premiers rayons de soleil ses toits en terrasse, ses balcons ornés de fleurs, ses jardins d'orangers entourés de la blanche colonnade sur laquelle serpente, comme une épaisse toiture, la pampre verdoyante, cette ville si brillante de couleur et de vie, ne présente plus qu'un monceau de décombres.
Scilla : la ville, son rocher et le château Ruffo

 

Toute cette population, d'abord frappée de stupeur, pousse des cris lamentables, qui se mêlent au hurlement des malheureux écrasés sous les ruines. Les uns se roulent par terre, s'arrachent les cheveux, les femmes se meurtrissent le sein, d'autres courent çà et là comme des insensés. Le Comte seul conserve son sang-froid. Il ordonne des travaux pour retirer ceux qui gémissent sous les décombres; il place une garde pour empêcher le pillage; mais le sol a tremblé de nouveau. La terre se déchirant avec d'horribles convulsions a formé des crevasses profondes qui vomissent des vapeurs sulfureuses et empestées; on craint qu'une bouche de volcan n'en vienne à s'ouvrir. « A la plage, dit le Comte d'une voix forte. Embarquons-nous! ».

Plage de Scilla, prise du château, lieu du raz de marée

Et cette population désespérée descend après lui les détours du sentier escarpé qui conduit au bord de la mer. Les barques sont couchées sur la grève étroite qui borde le pied du précipice. Les uns s'empressent de les mettre à flot, d'autres cherchent les agrès et rassemblent quelques effets précieux.

Tous les regards sont fixés sur le haut de ce rocher d'où leur patrie mourante semble les rappeler. Mais à l'instant où les premières barques commencent à déployer leurs voiles, un cri terrible annonce de nouveaux dangers: la mer haute comme une montagne semble s'être soulevée au dehors de ses abîmes pour venir engloutir la terre.

Cette masse énorme d'écume bouillonnante avance avec rapidité elle est déjà à l'entrée de la baie, déjà il est presque trop tard pour fuir. Chacun veut arriver le premier à l'étroit sentier et l'on se retarde mutuellement par ce désordre. Quelques hommes vigoureux veulent enlever le Comte sur leurs épaules et lui frayer un passage ; mais il refuse et ordonne de faire d'abord passer les femmes et les enfants: il restera le dernier. Le petit nombre de ceux qui ont survécu à cette catastrophe racontaient encore il y a quelques années comment le noble vieillard disparut au milieu des flots, s'efforçant d'encourager du geste et de la voix ces malheureux qui, s'accrochant aux racines des arbres, aux aspérités des rochers, lui répondaient par des cris de désespoir et d'effroi.

C'est ainsi que finit à l'extrémité de l'Europe et au moment où allait y commencer l'ère de la Révolution française, le dernier rejeton du grand arbre de la féodalité.

 

 

L’Aspromonte

 

La terre de Calabre est pauvre si nous la comparons à celle voisine des Pouilles. Mais une autre richesse couvre les pentes de ses montagnes. Un article de Saverio Strati dans la revue « Epoca » nous apprend qu'autrefois l'Aspromonte et le massif de Sila étaient couverts de magnifiques forêts intensivement exploitées du temps des Romains. Au Moyen Age, celles-ci fournirent le bois nécessaire à la construction des charpentes des églises de Rome et aussi de celles du Royaume Normand. Cette exploitation tant pour la construction des navires que pour le bois de charpente devait être une appréciable source de revenus pour les Ruffo.

 

En parcourant ces régions qui s'élèvent parfois à deux mille mètres, nous avons pu constater la présence d'essences d'arbres, semblables à celles du Namurois ou des Ardennes belges: de hautes futaies de sapins, hêtres, chênes et châtaigniers, ce qui est exceptionnel en ces contrées.

 

< Forêt de Calabre
 

 

Au XIe siècle un Ruffo de Sinopoli organisa une grande chasse en l’honneur d’un invité de marque : l’Empereur Charlequint de Habsbourg.

Au chapitre 12 « lieux à visiter », on trouve une liste de monuments en ruine existant encore au XXe siècle en Calabre. Bon nombre d’entre eux ont appartenu au fil des siècles aux Ruffo

 
 

 


Sinopoli

 

 

 

Bien que les ruines soient décevantes, il faut bien prendre conscience que toutes les branches actuelles des Ruffo sont parties de Sinopoli. C'est la seule branche qui ait survécu. Le premier Ruffo qui s'établit à Sinopoli était Fulcone, neveu de Pietro I, qui vivait à la Cour de Frédéric II, et qui fut rendu célèbre par ses poésies écrites en italien ancien.

< Vestiges du château

 

Fulcone Ruffo, par son mariage avec Margherita de Pavie (ils sont les ancêtres de tous les Ruffo vivants à ce jour) devint le maître de toute la Calabre du sud, dite aujourd'hui l'Aspromonte. Ses deux châteaux principaux étaient Sinopoli et Bovalino.

 

On peut se rendre compte de l'importance stratégique de Sinopoli car les routes reliant le nord à la Sicile devaient passer par là, ou par Bovalino, situé sur l’autre versant.

 

Quittant Sinopoli en empruntant des sentiers à travers les bois d'oliviers, on découvre une porte monumentale d'un palais insolite construit au XVIe siècle et abandonné avant d'être terminé car les Ruffo de l'époque préférèrent s'installer à Scilla.

 

 

Statue de la Vierge datant du XVIe siècle se trouve dans l’église de Sinopoli.
 

 

 

 

 


Photo satellite, Sinopoli indiqué par la flèche verte


     
               La pointe ^
Agrandissment de Scilla

Les normands

 

A cette même époque, les Vikings du nord de l'Europe, après avoir été de terribles prédateurs, se sont fixés dans le beau duché de Normandie. Plus tard, ils vont envahir l'Angleterre. Mais au début du XIe siècle, la terre normande ne suffit plus à nourrir les ambitions et les frustrations des cadets de famille. Par petits groupes, ils descendent vers le sud de l'Europe d'où leur viennent des échos prometteurs...

Ils se mettent en tant que mercenaires au service de l'Empereur de Byzance ou des princes Lombards de l'Italie du Sud. Leurs exceptionnelles qualités physiques et leur courage au combat provoquent étonnement, admiration et crainte. Parmi eux, une famille va émerger et créer en cinquante ans une dynastie exceptionnellement brillante : les « Hauteville ».

 

Cependant, de 1038 à 1040, une guerre byzantine sollicite les jeunes chevaliers de la Famille. Jamais l'empire d'Orient n'avait accepté la conquête de la Sicile par les arabes. L'empereur de Byzance confie une armée à Georges Maniakès qui, avec les alliés de l'Empire, se concentre autour de Reggio en Calabre. Le Prince de Salerne, sollicité, envoie trois cents mercenaires normands dont il voulait se débarrasser. En Sicile, ils font merveille, ce qui amena jalousies et querelles. Après deux ans de guerre, le trésor est vide, et l'épopée sicilienne s'achève sur un échec pour Byzance.

 

Les Ruffo qui y participèrent vraisemblablement durent rentrer chez eux avec d'étonnantes histoires à raconter sur la bravoure et la prestance de ces mercenaires normands.

 

Dans les Pouilles, voici qu'émergent les premiers Hauteville: les trois aînés de cette ribambelle de douze fils ambitieux de Tancrède, petit seigneur de Normandie qui avait le droit de commander dix hommes dans l'armée du Duc. Guillaume, puis Dreux et Onfroi de Hauteville, deviennent par force et ruse, les pires ennemis de Byzance. Ils vont se succéder comme comtes des Pouilles, les villes restant provisoirement au pouvoir des Byzantins. En 1041, leur frère, Robert surnommé « Guiscard « (le Rusé) prend lui aussi la route du sud sous la défroque miteuse d'un pèlerin car sa race est mal vue dans les pays qu'il traverse. Pour se débarrasser de ce frère encombrant dont il se méfie, Dreux l'envoie avec une poignée d'hommes en Calabre dans la vallée du Crati, à Scribbla, puis à San Marco Argentano (notre photo ici).

 

 

Tapisserie de Bayeux, les Normands
Arbre généalogique de Tancrède de Hauteville

 

San Marco Argentano

 
 

Il existe encore toujours à San Marco Argentano le donjon remarquablement restauré, de Robert Guiscard. Une haute tour ronde entourée de fossés, exemple unique en Italie de ces premières forteresses telles qu'on les construisait en Normandie à cette époque.

 

Pour vivre, cette troupe de brigands commandée par Robert Guiscard vole et rançonne, tout en se livrant à une petite guerre d'escarmouches contre les Byzantins. A ce moment il n’y a plus de Sarrasins sur le sol calabrais. Les Byzantins les ont chassés entre 970 et 1025. En Italie du Sud, le territoire contrôlé par l'empire d'Orient s'amenuise comme peau de chagrin. Bientôt il ne restera plus que la Calabre et quelques villes en Pouilles, dont Bari. Les nouvelles de la métropole Constantinople (anciennement Byzance) sont très mauvaises. La situation si brillante sous les empereurs Macédoniens se dégrade au fil des ans depuis la mort de Basile II survenue en 1025. En cinquante ans, quinze empereurs vont se succéder, tous plus impuissants les uns que les autres.

 

< Donjon de Robert Guiscard

 

Autre drame, le grand schisme de 1054 qui consacre la rupture entre Rome et Constantinople pour des malentendus. Rien ne peut empêcher la décadence de cet empire dont se détachent déjà les plus lointaines provinces de l'orient.

 

Dans les Pouilles, la domination des Byzantins n'a pas cessé de se dégrader au profit des Normands. Le Pape Léon IX, qui n'est pas moins inquiet, constitue une armée de mercenaires qui se joint aux grecs et aux princes italiens pour les abattre.

 

 Imposantes ruines du château

 de Bisignano >

 

Faisant fi de leurs désaccords, les Normands firent front. Robert Guiscard abandonne son brigandage en Calabre. C'était leur heure de vérité. Inférieure en nombre, l'armée normande très disciplinée fit exploser le dispositif de la coalition. Le Pape est même fait prisonnier! Coup terrible pour le prestige de la papauté. Politiquement, psychologiquement, la bataille de Civitate devait avoir de profondes répercussions.

 

En 1057, Isaac Comnène prend le pouvoir à Byzance. Un espoir pour l'Empire qui craquait de partout Mais cet homme énergique, militaire, d'une grande famille, découragé, abdique au bout de deux ans. Les byzantins ne peuvent donc aucunement compter sur l'aide de la mère patrie.

 

Robert Guiscard, après le succès contre la coalition papale, est revenu en Calabre. Maître de la vallée de Crati, de Bisignano (notre photo) et de Cosenza, il s'avance vers le sud en direction de Catanzaro lorsqu'en 1057, il est rappelé d'urgence à Melfi où se mourait son frère Onfroi, troisième comte de Pouilles. Robert s'empare du pouvoir, écartant ses neveux, puis repart pour la Calabre par la côte Tyrrhénienne, et met le siège devant Reggio qui résiste.

Il assiégeait Cariati, place côtière non loin de Rossano, en Calabre, lorsque le Pape Nicolas II entreprend un voyage dans le sud de la Péninsule pour y rencontrer les Normands et faire alliance avec eux.

 

L'Allemagne devenait hostile au pape. On en était aux premières manifestations de la « Querelle des Investitures », tandis que du côté de Byzance, dès 1054, la rupture était consommée par le grand schisme de Michel Cérulaire.

Robert Guiscard galope vers les Pouilles. En échange de sa protection, le Pape le reconnaît "Duc de Pouilles, de Calabre et de Sicile", ces deux dernières étant encore à conquérir. En droit, l'état Normand vient de naître le 23 août 10 59.

Robert confie à Roger, de vingt ans son cadet, à peine arrivé de Normandie, soixante chevaliers avec mission de poursuivre la conquête de la Calabre.

Les byzantins, disons les Ruffo, partout où ils se trouvaient, ont cédé. Les places fortes byzantines tombent une à une comme des fruits mûrs. Les deux dernières -Reggio et Squillace - viennent de se rendre. Désormais, en 1059, la Calabre tout entière est normande.

 

Raison 4 de l’origine Byzantine des Ruffo :

Suivant une politique que les Normands avaient appliquée partout et qui était la clé de leur prodigieuse réussite, les vainqueurs ne tentèrent rien qui put bouleverser l'ordre établi. Toutefois, les Ruffo ne sont pas maintenus dans le gouvernement de tous leurs états. Ils deviennent des féodaux à part entière : prêtent le serment de vassaux et détiennent désormais des fiefs parfois importants mais qui ne sont plus les principaux du pays.

Ce sont en effet les proches de la famille des Hauteville qui vont être placés directement dans les fiefs stratégiquement les plus importants; comme Catanzaro et Cosenza. Contrairement aux barons des Pouilles et autres fiefs italiens, l'histoire ne retient aucune révolte des féodaux de Calabre, excepté sous Guillaume I. Les Ruffo seront fidèles à la dynastie normande (voir règne de Roger II).

 

< Cavaliers normands au combat,
    tapisserie de Bayeux.

 

Toutefois, le courage, la force et l'entraînement des Normands ne suffisent pas à justifier leurs victoires constantes sur des adversaires presque toujours bien supérieurs en nombre. La clef de ce mystère apparent est que les Normands apportaient en Italie, outre leurs qualités propres comme combattants, un armement entièrement nouveau, ignoré en Europe méridionale qui leur assura une supériorité écrasante sur les Italiens (Lombards), les Grecs et les Sarrasins.

 

« L'étrier, introduit en Europe du Nord vers 950, avait permis aux cavaliers, désormais solidement fixés sur leurs selles, de porter des cuirasses épaisses et de manier des armes offensives lourdes. Les tacticiens de la nouvelle école firent de ces cavaliers blindés, massés en une phalange compacte, le principal élément de la bataille. Les « échelles », blocs d'hommes et de chevaux assez peu nombreux mais d'une grande densité jouèrent dans le combat le rôle des tanks modernes pour rompre les lignes adverses. Les chevaliers constituaient le matériel lourd de l'armée, comme lui coûteux, donc limité en quantité, mais déterminant du résultat final."

 

Cette citation est longue mais précieuse (B. Villars, p.76) car après avoir été vaincus par de tels adversaires, les Ruffo vont se mettre à leur école, devenant des féodaux loyaux. Vêtus de broignes cuirassées de plaques de métal, rompus à la discipline de peloton et à l'escrime à la lance, habiles à combiner leurs mouvements avec une infanterie peu nombreuse mais très ferme, tels nous pouvons les imaginer pendant tout le Moyen Age jusqu'à l'invention des armes à feu. Nous comprenons mieux maintenant les circonstances qui nonante ans après leur arrivée en Calabre, vont décider de l'avenir prestigieux de la Famille.

 

Maîtres de la péninsule, Robert et Roger se tournent vers la Sicile enchanteresse. L'appel à l'aide d'un émir arabe contre un autre émir est pour eux l'occasion d'intervenir. En 1061, Roger accompagné de cent soixante chevaliers, ce qui avec les écuyers et l'infanterie représente environ cinq cents hommes, s'embarque pour Messine.

 

Les Normands autrefois grands navigateurs ne sont plus des marins. Parmi leurs alliés et vassaux, les Ruffo les auront aidés à passer le détroit à l'aide de leur propre flotte. Les historiens parlent de « la flotte calabraise » lors du siège de Bari en 1069. Après un certain succès, Roger réclame à son frère un fief qu'il lui refuse, et un conflit armé s'engage entre eux sur le sol de Calabre. Sa gravité faillit amener la famille Hauteville à sa ruine. Ce fait aura été vécu avec anxiété par les Ruffo. Qui, de Robert ou Roger, va l'emporter?

 

Prudemment ils se tiennent dans l'expectative. Mais un an de troubles sur leurs terres ne peut être que désastreux. Des troupes même peu nombreuses épuisent le pays. Les chevaliers normands eux aussi en ont assez de ces luttes stériles où tombent les meilleurs d'entre eux. Les deux frères ont une entrevue en terrain neutre et on partage la suzeraineté de la terre. Etrange partage... pour qu'aucun ne soit lésé, chaque place calabraise est divisée en deux parties strictement égales, confiées à la suzeraineté de l'un et de l'autre frère (Aubé, p. 65). Et ce sera ainsi jusqu'à ce qu'un successeur de Robert Guiscard affaibli, laisse sa part à son oncle, Roger Comte de Sicile, qui réunit tout l'ensemble.

 

Sitôt la paix familiale rétablie, Roger réunit les contingents que peut lui fournir la Calabre, trois cents hommes, et repart à l'assaut de la Sicile. Mais pendant l'hiver 1062, il se fait encercler à Troina. Une sortie désespérée pour reconstituer les stocks de vivres réussit, et Roger fait un aller et retour en Calabre pour y reconstituer sa cavalerie. Il est peu probable que l'aide des Ruffo dépasse le stade de l'intendance car Roger désirait conquérir pour lui-même la Sicile à l'aide de mercenaires. Mais après une suite de succès et de revers, il se met à piétiner.

 

D'un autre côté, en Pouilles, Robert Guiscard s'est décidé à mettre le siège devant Bari, dernière place forte puissamment fortifiée que tenait encore Byzance. On la disait imprenable. Le siège dure depuis un an lorsque Robert Guiscard décide de faire appel à la flotte calabraise pour bloquer tout accès maritime à la ville investie. Les renforts envoyés par Byzance sont anéantis par la marine normande (la flotte calabraise est désormais assimilée à celle-ci) et les équipages capturés. Bari capitule. Robert adroitement fut magnanime: il interdit les pillages et fait réparer les dommages causés par ce long siège (en 1069).

 

< Empire byzantin vers 1050
 

C'est la fin de la présence grecque en Italie du Sud. A l'autre extrémité de l'empire d'Orient, les Turcs Seldjoukides envahissent l'Asie mineure et l'empereur est fait prisonnier. Pour Byzance, c'est la fin d'une époque glorieuse car les empereurs Comnènes au XIIe siècle, malgré leurs talents, ne parvinrent jamais à restaurer la puissance de l'Empire.

 

En 1072, Robert réunit ses vassaux à Melfi (parmi lesquels les Ruffo) mais en 1074, le Pape Grégoire VII excommunie le Duc de Calabre et fomente des troubles contre lui. Il n'y réussit pas; l'alliance normande est incontournable et Robert, fort du soutien de l'Eglise, sûr de la tranquillité de ses états, va se lancer dans une nouvelle aventure (la guerre contre Byzance).

 

 
La féodalité

 

La féodalité est un ensemble de coutumes qui régissaient l’ordre politique et social pendant le Moyen-âge, basée sur la constitution du fief et de l’engagement entre le vassal et son seigneur. Ce système a régi une partie de l’Europe du Xe siècle à la fin du Moyen-âge et est totalement ignoré dans l’empire Byzantin.

< Robert Guiscard

 

Raison 6 de l’origine Byzantine des Ruffo :

C’est cette nouvelle structure que les Normands vont proposer, et imposer aux Ruffo. Il est intéressant de noter ici à la suite de « l’historia della Casa Ruffo » p.54.55.56 que le roi Roger II lors de son accession au trône en 1130 voulant affermir son pouvoir, diminue le nombre de Barons et exige que ses vassaux présentent leurs anciens titres et concessions de fief, pour qu’ils soient annulés ou reconnus, même en ce qui concerne ceux accordés par le duc Robert Guiscard lui-même. Les barons évincés se révoltent, il s'ensuivit une terrible répression qui dura huit ans. On ne parle ni de révolte ni de répression en Calabre. Ne peut-on en conclure que les Ruffo ne furent pas concernés par cette mesure qui les aurait dépouillés de leurs fiefs et que ceux-ci leur appartenaient du temps des byzantins, donc avant l'arrivée des Normands.

 

En affirmant que la famille Ruffo est originaire de Byzance – (Constantinople) nous contredisons une opinion moderne. Pontieri et Caridi affirment qu’elle serait d’origine normande ou même française.

Fazella donne aux Ruffo une origine Calabraise et rapporte qu’ils avaient acquis leur puissance sous les Byzantins. Ces opinions ne sont confortées par aucune preuve.

Par contre, il est historiquement certain que la Calabre redevint Byzantine sous le règne de l’empereur Tzimiscès 969-976 non par lui-même car il est occupé à guerroyer en Asie mineur mais par un stratège qu’il a mandaté.


Répétons également que la très sérieuse chronique Cassinienne confirme la présence des Ruffo en Calabre sous le règne d’Othon I le Grand 961-973.

 

 

Raison 5 de l’origine Byzantine des Ruffo

Quand les Normands passent en Italie, les noms patronymiques n’existent pas chez eux. Les chartes les concernant mentionnent leurs prénom, auquel est attaché le nom de leur fief, et parfois un surnom. Aucun nom de famille. « Hauteville » petit fief de leur père Tancrède en Normandie n’est repris par aucun de ses fils. Ce sont les auteurs modernes qui les rassemblent sous cette appellation. Papon page 50 affirme que « l’Abbaye de la Cava est une de celles où l’on trouve le plus de titres concernant ces conquérants. J’ai fait tout ce que j’ai pu pour en découvrir quelques familles mais je n’ai pu réussir. »

Les Ruffo par contre portent dès leur arrivée en Calabre au Xe siècle le patronyme Ruffo qui leur est propre. Le changement d’orthographe du Rufo byzantin en Ruffo calabrais est naturel, puisqu’il signifie Roux comme celui de Ruffo, devient Roux en Provence.

 

< Robert Guiscard

 

La guerre contre Byzance (1081-1085).

 

La tradition familiale fait état d'une entrevue importante entre les Ruffo et Robert Guiscard accompagné de son fils Bohémond. Voici la traduction du texte tel que nous le trouvons dans la généalogie Litta: « En 1091, Robert le Normand passe de Sicile en Calabre à la tête d'une armée nombreuse pour combattre son frère Bohémond de Tarente. Il est reçu par les frères Filippo et Enrico I Ruffo, et avec leur aide et l'aide d'autres chevaliers du même sang, il soumit à son pouvoir la terre d'Otrante et la Basilicate ».

 

Ce texte, qui se base sur des faits réels, fourmille d'erreurs historiques car :
1. Robert Guiscard meurt en 1085.
2. Bohémond est son fils et non son frère.
3. Robert n'a jamais combattu contre Bohémond, son allié de toujours.
4. Robert conquit la terre d'Otrante avant la Calabre, et la Calabre avant la Sicile.
5. Il n'eut jamais d'armée nombreuse en Italie du Sud.

 

Malgré les nombreuses erreurs historiques, ce texte est cependant très intéressant lorsqu'on l'intègre, corrigé, dans la guerre contre Byzance. Voici ce qu'il devient alors : « En 1081, Robert le Normand et son fils Bohémond de Tarente sont reçus en Calabre par les frères Filippo et Enrico I Ruffo. Avec leur aide et celle d'autres chevaliers du même sang, il livre la guerre (à Byzance) et s'embarque à Otrante à la tête d'une nombreuse armée ».

En maintenant les noms propres du texte primitif, nous avons un texte qui correspond parfaitement à la réalité de cette guerre malheureuse. Il faut situer en 1081 la fameuse entrevue entre Robert Guiscard, son fils Bohémond et les frères Enrico I et Filippo Ruffo entourés d'autres seigneurs de leur Famille. La réception est certainement fastueuse et bien organisée pour impressionner favorablement ces conquérants partis de si peu… !

 

Il s'agissait de monter une offensive d'envergure contre Byzance elle même. Le moment est bien choisi car l'Empire agonise. Le Pape Grégoire VII incite les évêques de Calabre et de Pouilles à soutenir l'expédition qui se prépare. En cas de réussite, le schisme qui coupe l’Eglise en deux est annulé. Les Ruffo connaissent l'histoire de Byzance. Lorsqu'un homme fort prend le pouvoir à la tête de ses troupes, c'est un bien pour l'Empire. Cet homme providentiel pouvait fort bien être Robert le Normand. Quelle gloire de se joindre à lui!

Robert Guiscard tenait certainement à avoir à ses côtés ces grands seigneurs d'origine byzantine. Les Ruffo sont très connus à Byzance où ils ont toujours de la famille. Cette entrevue est très importante pour les deux parties. Ils devaient bien se connaître et s'apprécier. Elle aboutit à une conclusion favorable.

Flotte normande >

 

On peut imaginer la présentation au suzerain de tous les seigneurs de la Famille qu'il ne connaissait pas encore. Tout nous porte à croire qu'ils auront une place de choix aux côtés de Robert le Normand dans cette guerre contre Byzance. Avec leurs navires, ils seront exacts au rendez-vous d'Otrante. Ceci est un exemple typique de ce que peut être une tradition familiale transmise oralement. Exactitude des noms propres, mais le temps déforme les souvenirs, lorsque deux ou trois siècles plus tard ils sont mis par écrit. Cependant les renseignements sont exacts lorsqu'on les rattache à un autre événement.

L'histoire nous dit, confirmant le texte de Litta tel que nous l’avons corrigé, que Robert concentre ses forces dans le port d'Otrante: cent cinquante vaisseaux bien armés, montés par des Siciliens et des Calabrais, et environ vingt mille fantassins, ce qui est un nombre considérable pour l'époque (Villars, p 144). Après avoir traversé la mer Adriatique, l'armée se dirige vers Durazzo (Albanie) où s'amorçait la via Egnatia, route romaine conduisant par la Grèce à Constantinople. Malheureusement l'empereur Alexis Comnène, neveu d'Isaac, prit en main cette situation qui semblait désespérée...

 

Il obtient le concours de Venise moyennant des accords commerciaux désastreux pour Byzance. La flotte de la république réussit par surprise à couler une bonne partie de l'armada de Robert Guiscard, après le débarquement de ses troupes. C'est une catastrophe pour les Ruffo en tant qu'armateurs!

 

Le corps expéditionnaire est coupé de ses bases et privé de renforts. Pour obliger ses troupes à se battre, Robert Guiscard fait brûler les vaisseaux qui lui restent! Toujours devant Durazzo qui résiste, les Normands voient arriver une armée de mercenaires commandée par l'empereur Alexis lui-même.

Après un combat difficile, l'armée impériale n'existe plus. Alexis ne doit son salut qu'à son cheval léger et bien entraîné à la course en montagne. Il rentre dans sa capitale avec les débris de son armée. La route des invasions est libre. L'empereur Alexis essuie une terrible défaite militaire mais sa diplomatie avait accompli des prodiges. Il obtient que l'empereur d'Allemagne Henri IV (qui détestait le Pape Grégoire VII) marche contre les Normands, alliés du Pape. Henri IV, accompagné de l'antipape Clément III, encourage par sa présence en Lombardie un soulèvement des barons des Pouilles. Robert, déjà en vue de la Grèce, est sur le point de réaliser son grand dessein. Fou de rage, il confie le commandement de l'armée à son fils Bohémond, et fait désormais voile avec une petite troupe et deux vaisseaux, vers Otrante.

< Château Saint Ange, à Rome

 
Pendant ce temps Henri IV d'Allemagne assiège Rome et se fait couronner par l'antipape Clément III, tandis que le pape Grégoire VII s'enferme dans le Château Saint Ange. Le retour de Robert calme les barons félons et celui-ci s'avance vers Rome avec trente mille hommes. Henri IV et Clément III prennent la fuite, laissant une garnison qui est culbutée par les Normands et leurs alliés. La population romaine se soulève contre Robert Guiscard. La répression est horrible.

 

On pille, on massacre, on n'avait pas vu cela depuis le sac de Genséric. Des monuments de l'Antiquité sont ruinés et certains quartiers entièrement brûlés. Rome mettra des siècles à guérir de ses plaies. Grégoire VII, considéré par le peuple romain comme responsable de la catastrophe, suit Robert en Pouilles et meurt en exil, un an après. La réforme grégorienne de ce grand pape - il fut canonisé - ne devait porter ses fruits que plus tard.

 

Entre-temps, Bohémond toujours en Grèce, excellent chef militaire, entouré de soldats de premier ordre, peut continuer la campagne de son père. Mais le prestige du grand chef manque. Le moral a baissé. Alexis a reconstitué une armée et attaque les Normands à Janina. Encore une fois la cavalerie lourde, dont des Ruffo font certainement partie, fait reculer les grecs, sa charge étant irrésistible. Bohémond a le champ libre, mais obéissant aux ordres de son père, il passe l'hiver en Thessalie (Grèce). Désormais les Byzantins se livrent à une tactique de harcèlement qui oblige Bohémond à se replier sur Kastoria. L'armée est mal payée, il y a peu de butin. Le mécontentement habilement entretenu par les émissaires du Basileus se répand dans les troupes. Même des chevaliers désertent les rangs normands. L'armée commence à se décomposer.

Bohémond part en Italie y chercher des renforts et des fonds. Quant Alexis revient à l'attaque, l'armée capitule presque sans combattre. Une grande partie des chefs et des soldats normands passe au service de Byzance qui, manquant d'effectifs mais non d'argent, ne demande qu'à les enrôler. Le reste de l'armée rentre en Italie.

Malgré ce cuisant échec, Robert décide de reprendre la guerre. Il dispose de l'armée qu'il ramène de Rome. Il ne peut licencier les soldats, de peur d'en faire des bandits. En 1084, il repart pour l'Albanie avec une flotte reconstituée. Au large de Corfou, une attaque vénitienne a d'abord le dessus. Robert réunit les navires qui lui restent, et attaque, anéantissant tour à tour grecs et vénitiens. L'hiver n'est pas favorable, une épidémie s'abat sur l'armée normande hivernant à Corfou.

La grêle ravage la Calabre, le soleil s'obscurcit pendant trois heures dans les Pouilles, la Calabre, la Sicile : cela semble de mauvais présage, c’est une éclipse dont la cause est inconnue à cette époque. Robert est frappé à son tour par la maladie, il a septante ans. Jamais il ne conquerra Constantinople, mais en un demi-siècle de combat et de ruse, ce grand normand a fondé un véritable empire.

Le rapatriement et la démobilisation de l'armée exténuée sont difficiles et coûteux. « Quant aux grands féodaux, ils rentrent dans leurs châteaux de Pouilles et de Calabre, furieux de cette campagne sans gloire et sans butin » (Villars, p.169). Ce dernier fait cité par les historiens est particulièrement intéressant en ce qui concerne la Famille. Nous devons le souligner car il est un signe de la participation des Ruffo à cette guerre contre Byzance et donc de leur total ralliement à la cause des Normands, dès 1081.

 

Roger I   (1031-1101)

 

Pendant cette guerre, Roger, frère de Robert Guiscard, est resté en Sicile sans y rencontrer de succès notoire. A vrai dire, il n'a à sa solde que quelques centaines de chevaliers, ayant dû soutenir les ambitions de son frère sur le continent. Mais à l'automne 1084, l'émir de Syracuse lance une importante offensive. Sa flotte ravage les côtes de Calabre. Le monastère de Rocca Asino, près de Reggio, est forcé, les religieuses vendues comme esclaves. C'était une erreur politique. L'événement provoque stupeur et indignation. Roger place le conflit sur le terrain religieux. Le Pape soutient inconditionnellement cette croisade. Le petit noyau initial des fidèles de Roger s'est accru de troupes calabraises (cité par les historiens).

A peine rentrés de la guerre contre Byzance, attaqués sur leur propre territoire par leurs ennemis de toujours, les sarrasins, les Ruffo eux aussi vont désormais se lancer aux côtés de Roger à la conquête de la Sicile.

Face aux raids musulmans partis de Malte et d'Afrique, ingénieurs et calfatiers construisent des vaisseaux robustes et bien équipés, capables d'affronter les terribles tempêtes méditerranéennes et le célèbre tourbillon de Charybde face aux rochers de Scilla. Ainsi les Ruffo construisent-ils de solides navires sur le modèle byzantin. Ce n’est pas le bois qui manque dans leurs forêts. Dès leur arrivé en Calabre, ils ont une flotte qui leur est nécessaire pour vaincre les Sarrasins et défendre la côte Ionienne contre leurs incursions. Ils sont donc propriétaires d’une force navale qu’ils mettent au service de leurs suzerains.

 

Il faut prendre Syracuse. Le 22 mars 10 85, la flotte normande mouille devant le Cap Santa Croce. Un combat contre les navires musulmans d'abord indécis devient victorieux lorsque l'émir tombe à la mer et se noie. Il faut encore cinq mois de siège pour prendre la ville.

 

En 1091, la conquête s'achève par la prise de Noto. Restait Malte à cent kilomètres des côtes Siciliennes, menace permanente pour l'Occident. Une puissante escadre normande, commandée par Roger lui-même, cingle victorieusement dans les eaux maltaises et s'empare de l'île.

 

La conquête de la Sicile est glorieusement achevée en 1091. Les Ruffo au point de vue militaire ne demeureront pas longtemps inactifs car nous arrivons à cette extraordinaire expédition que fut la première croisade.